De quelques choses vues la nuit

De quelques choses vues la nuit

de Patrick KERMANN

Objet nocturne numéro 

1
création 1996

Notes & textes 

À propos du livre du Patrick Kermann

« Des histoires d’anges déchus dans un monde en pleine déréliction, une ville qui cache son nom, un homme qui a tout vu mais ne sait plus quoi, un chien qui jette des mots aux passants, deux jeunes gens qui meurent d’amour, d’autres ombres encore qui peuplent la cité défunte et à qui il ne reste que la parole, échos sourds de voix lointaines ou perdues. Au détour d’une langue jubilatoire et accidentée surgissent les ruines d’un univers jonché de cadavres, comme autant de formes possibles de l’écriture contemporaine. »

Noëlle RENAUDE

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La fin est aussi un commencement

« Le texte n’est qu’une trace, une machine à rêver comme toujours prétexte à évoquer les problèmes ontologiques du Bien et du Mal. Cela parle de la crise de la morale publique.
L’apocalypse est évoquée… Nous autres avons tendance à penser à l’apocalypse comme le temps de la destruction, une fin du monde… C’est la fin oui, mais aussi le commencement d’un nouveau règne ! Les ressorts de la trajectoire de notre civilisation sont derrière nous, et il semble qu’un des moyens de voir qui nous sommes et d’agir avec discernement consiste à nous “détacher” de nous-mêmes.

Revenir là où les choses se sont définies, c’est-à-dire au commencement. »

Solange OSWALD

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Extrait

GUIDE.
vous le savez les témoignages sont sujet à caution
peu fiables après tant de temps
est-ce la mémoire ou l’imagination qui projette des images
auxquelles nous ne voulons désormais croire
et pourtant certains ont vu
vu des choses que jamais personne n’aurait osé voir
produites comme en l’absence de l’homme
si incommensurablement petit qu’il n’a rien vu
rien voulu voir
étrange cette faculté d’oubli qui nous habite
mais je ne suis pas là pour donner des leçons
non
le passé parle tout seul
à qui sait l’entendre

laissez-moi vous présenter un témoin du désastre
prisonnier des derniers instants qui ont précédé l’apocalypse
témoin aveugle direz-vous

ébloui par la lueur finale
yeux clos dorénavant sur son secret
mais à qui il reste la voix
chien furieux il porte la parole de porte en porte
et parle
et parle au vent aux pierres à la lune

Patrick KERMANN
De quelques choses vues la nuit,
p.18, Ed. Espaces 34 (2012)

 

Générique 

Texte :
Patrick KERMANN (écrit en 1992)
De quelques choses vues la nuit,
Ed. Espaces 34 (2012)

Distribution (1996) :
Mise en scène : Solange OSWALD, Guy MARTINEZ
Installation plastique : Joël FESEL
Régie : Florence TARBOURIECH, Mélodie PAREAU, Stan MALAFRONTE
Son : Bruno BAUDRY

Avec :
Georges CAMPAGNAC
Philippe CARBONNEAUX
Olivier CHOMBARD
Frédéric CUIF
Étienne GREBOT
Sébastien LANGE
Kaf MALÈRE
Tafa N’BAYE
Françoise OSTERMANN
Solange OSWALD
Pierre PASQUET
Emmanuelle RICARD
Sacha SAILLE
Hassan TESSAYOUD
Annabelle VALIN
Jean-Noël ZENHLÉ
et le chien JACK

Mais aussi (reprise) :
Isabelle BLANDIN
Jean-Sébastien BOULAIS
Frédéric MAIGNE
Jean-Marie MONDINI
Christophe PIEROT
Maïa Ricaud AUCLAIR

Production :
Compagnie Machine Arrière (ex-Groupe Merci)
Coproduction Théâtre de la Digue
La Chartreuse (Centre National des Écritures du Spectacle), Villeneuve-lèz-Avignon.

Soutiens :
Aide à la Création du Ministère de la Culture
Aide de l’ANPE Midi-Pyrénées.

Spectacle-parcours créé en octobre 1996 dans l’ancienne faculté de médecine, Toulouse

Parfums de presse 

Teneurs et espoirs d’un monde d’après la catastrophe

« Il y a dans cette pièce de Patrick Kermann, écrite en 1994, des parfums de catastrophe, relents des récents conflits du Golfe et de l’ex-Yougoslavie.

Enfin créé dans les conditions du spectacle après de nombreuses lectures, mises en onde et mises en espace, De quelques choses vues la nuit, poème dramatique librement versifié, s’inscrit dans le courant des recherches menées par Michel Deutsch ou Didier Georges Gabily, ces cris de colère, ces appels à la raison d’hommes clairvoyants et décidés à en découdre avec la marche inacceptable du monde. En ce sens, la pièce, successions de fragments dont plusieurs sont splendides, est une œuvre importante et nécessaire.

Elle est servie par une troupe de seize acteurs, solistes, duettistes ou choristes dont la plupart sont irréprochables, et d’autant plus encore que plusieurs doutent changer de peau et de lieu à la vitesse de l’éclair, rejoignant à la course les décors plantés sur tout le domaine de la Chartreuse. À la manœuvre, Solange Oswald et celui qui fut son élève, Guy Martinez. Ils ont su donner à l’ensemble une cohérence et, souvent, une force inattendue ».

Olivier SCHMITT
Le Monde, 18/07/1997

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« Tu n’as rien vu à Hiroshima… ” :

cet incipit signé Marguerite Duras au film légendaire d’Alain Resnais trottait dans ma tête hier soir, entre Villeneuve et Avignon. Je revenais de la Chartreuse où le groupe Machine Arrière sur un texte (des lambeaux de textes faudrait-il dire) de Patrick Kermann venait de présenter, avec une santé et une conviction confondantes ce spectacle pérégrinant qui a pour titre De quelques choses vues la nuit, mis en scène par Solange Oswald et Guy Martinez.

Pas facile de parler sereinement de ces quatre-vingts minutes qui plongent les cinquante spectateurs retenus pour chaque prestation dans un univers où la folie le dispute à la dérision pour déboucher sur l’émotion. Et où dominent l’inquiétude, la peur, la déraison, dérèglement des sens comme du langage. Bêtes curieuses qu’on nous montre, solitaires ou par paires, ces survivants d’on ne sait quelle catastrophe (explosion nucléaire ? Heurt d’un météorite ? Invasion d’extraterrestres ? Qui pourra, et voudra, jamais savoir ? (…) déversent sur nous une logorrhée plus ou moins compréhensible parfois trop longue, souvent hilarante, quelquefois effrayante (…).

Ni pessimiste, ni optimiste, ce spectacle, résolument moderne de langage et de forme vaut d’être suivi (…) ».

Gabriel VIALLE
La Marseillaise, 17 juillet 1997